Par notre envoyée spéciale à Munich Marwa SAIDI
Des femmes leaders et pionnières dans le secteur des énergies renouvelables venues du monde entier se sont réunies, le 15 juin 2023, dans la capitale bavaroise Munich, pour aborder la question de la transition énergétique à travers le prisme féminin. Elles ont débattu des enjeux de la transformation des systèmes énergétiques mais également du rôle de la femme dans ce changement déterminant pour le futur de la planète.
Beaucoup peuvent penser à tort que la cause féminine, l’autonomisation des femmes et l’égalité des sexes sont des questions futiles, accessoires au mieux, un luxe que les pays en voie de développement ne peuvent pas se permettre. Or, la réalité veut que les femmes soient des actrices du changement. Plusieurs études ont montré que l’intégration de l’approche genre est un gage de développement et de prospérité économique. Il en va de même pour tous les secteurs, y compris le secteur des énergies renouvelables où les femmes peuvent jouer un rôle central. En effet, une meilleure implication des femmes dans le processus de transformation des systèmes d’énergie est un facteur d’accélération contribuant à la réussite de la transition énergétique. Et c’est dans cette même optique, que la conférence internationale “Women Energize Women” agit comme un plaidoyer en faveur de la féminisation du secteur de l’énergie. Initié par le ministère fédéral allemand de l’économie et de la protection du climat (Bmwk) et mis en œuvre par l’Agence de coopération allemande (GIZ) et la fédération allemande des énergies renouvelables (BEE), ce projet vise à braquer les feux des projecteurs sur des femmes leaders et pionnières qui ont réussi à percer dans un domaine traditionnellement dominé par les hommes.
Un secteur en plein boom
Après une première édition couronnée de succès, la conférence s’est tenue, pour la deuxième année consécutive à la capitale bavaroise, Munich, sous le signe “financement et investissement dans les femmes”. Les organisateurs de l’événement justifient le choix du thème par l’importance que revêt le financement de la transition énergétique dans un contexte d’urgence climatique où les pays du monde entier sont appelés à limiter le réchauffement climatique à 1,5 C° dans les six prochaines années. Une entreprise titanesque qui nécessite la contribution de toutes les forces vives et la mobilisation d’un grand nombre de ressources humaines y compris les compétences féminines. Selon un rapport récent de l’Agence internationale pour les énergies renouvelables (Irena), les investissements dans le secteur des énergies renouvelables ont atteint un record de 1.300 milliards de dollars en 2022. Pour atteindre les objectifs climatiques, ce montant est appelé à être triplé sur la période qui s’étale entre 2023 et 2030. “En termes d’investissements, il existe des disparités entre les pays du Sud et ceux du Nord mais aussi au niveau des diverses technologies utilisées.
Pour basculer vers le 100% d’énergies renouvelables dans les différents secteurs, tous les talents doivent être impliqués dans ce processus afin de stimuler l’innovation”, a souligné Dr Simone Peter, présidente de la fédération allemande des énergies renouvelables (BEE) lors d’un point de presse qui s’est tenu avant l’ouverture de la conférence “Women Enegrize Women». Elle a ajouté que le manque de talents féminins dans le secteur des énergies conventionnelles bride, en effet, les efforts déployés pour faire face aux défis des changements climatiques. Car, un manque de diversité de genre est synonyme d’une industrie moins ouverte à de nouvelles idées permettant d’atteindre un système énergétique zéro carbone.
Les compétences féminines, un gage de réussite
“Les entreprises vertes et durables ont une représentation plus équilibrée des sexes mais il reste beaucoup à faire pour faire bouger les lignes”, a-t-elle asséné. En effet, selon les données de l’Irena, les femmes représentent, aujourd’hui, 32% seulement des employés dans le secteur des énergies renouvelables. Ce chiffre met en évidence le chemin à parcourir pour atteindre la parité dans un secteur considéré comme un des piliers du développement durable. “Les femmes apportent de nouvelles perspectives au développement des sociétés et constituent un vivier riche de compétences. La transition énergétique doit être concrétisée à l’échelle mondiale et accélérée dans toutes les régions du monde en s’appuyant sur toutes les technologies disponibles et en faisant appel à toutes les compétences, y compris les compétences féminines”, a fait remarquer Dr Peter. Et de soutenir: “L’industrie des énergies renouvelables a besoin d’engager, retenir et promouvoir plus de femmes pour combler ses besoins croissants en compétences. Promouvoir l’égalité des sexes doit être une priorité pour les secteurs privé et public”.
Il va sans dire qu’avec 12 millions de personnes qui travaillent dans le secteur des énergies renouvelables, ce dernier peut être un véritable pourvoyeur d’emplois, en particulier si on tient compte de son potentiel de croissance dans les années à venir. Et les statistiques prévoient un quadruplement de ce chiffre d’ici 2050, si les objectifs de transition énergétique sont concrétisés. Cependant, les initiateurs du projet”Women Energize Women” estiment que cet objectif ne pourra être atteint que si le secteur brise son image d’industrie dominée par les hommes. On considère que malgré les nombreuses contributions inspirantes des femmes qui font avancer la transition énergétique grâce à leurs idées et projets innovants, la participation de la gent féminine dans ce changement décisif pour la planète reste timide et doit être développée davantage. “Il a été démontré que la parité dans les grandes entreprises est un facteur clé de réussite et que les startup et les entreprises fondées et gérées par les femmes sont des entreprises prospères. C’est pourquoi financement, prospérité économique et égalité des sexes sont étroitement liés”, a souligné, de son côté, Ellen Von Zitzewitz, directrice adjointe au Ministère fédéral allemand des affaires économiques et de l’action climatique. Pour la responsable, les enjeux de genre et de transition énergétique vont, aujourd’hui, de pair.
Les inégalités persistent
Les initiateurs du projet affirment que la participation des femmes est indispensable pour parvenir à atteindre les objectifs liés à une protection efficace de l’environnement ainsi qu’à une transition énergétique juste et ambitieuse. Ils estiment que l’égalité des sexes est désormais la clé de la transformation du système énergétique dans le monde et que le déséquilibre entre les sexes figure parmi les causes qui freinent la transition énergétique. En effet, l’inégalité des chances entre hommes et femmes dans le secteur des énergies se traduit aussi par des barrières à l’accès aux postes de décision. Bien que les femmes soient, aujourd’hui, mieux représentées dans le secteur des énergies renouvelables par rapport à celui des énergies fossiles (où elles représentent 20% seulement des employés), elles sont appelées à briser ce plafond de verre qui réduit leurs opportunités de leadership. Les chiffres, à cet égard, sont éloquents: la plupart des femmes travaillant dans le secteur des énergies renouvelables n’ont droit qu’à des postes administratifs. Même dans la filière photovoltaïque qui compte le taux le plus élevé de femmes employées, la gent féminine ne représente que 13 % des postes de direction.
Une nouvelle génération des femmes aux manettes
La conférence internationale “Women Energize Women” qui s’est tenue en marge de “Smarter-E”, la plus grande plateforme européenne d’innovation du marché de l’énergie, a vu la participation de plus de 400 personnes venues des quatre coins du globe pour échanger, partager les expériences et réseauter. Les organisateurs de l’événement se sont félicités de la portée de cette deuxième édition: plus d’un million d’internautes ont pu suivre les débats grâce à sa diffusion en direct sur les réseaux sociaux. Il est, par ailleurs, à noter que ce projet s’inscrit dans la même veine de la politique féministe extérieure de coopération au développement du gouvernement allemand où l’égalité des sexes occupe une place importante dans les projets de développement.
La directrice des projets et des services administratifs au sein de GIZ, Sandra Retzer, a souligné, à cet effet, que la nouvelle politique féministe adoptée par le gouvernement allemand porte un regard critique sur le développement et accorde la priorité à l’égalité des sexes, aux droits de l’homme et à la diversité lors de l’élaboration des politiques de développement. “Il s’agit d’un changement structurel basé sur une approche transformatrice de genre et c’est devenu particulièrement important dans des secteurs considérés à tort comme des domaines masculins, à l’instar du secteur de l’énergie”, a-t-elle précisé. A en croire les chiffres, les énergies renouvelables figurent parmi les secteurs qui séduisent de plus en plus les jeunes générations de femmes qui choisissent d’y faire carrière et ambitionnent d’y occuper des postes de décision. C’est ce qu’a souligné, en somme, Gauri Singh, directrice générale adjointe de l’Irena qui a indiqué que cette tendance émergente va crescendo. Une tendance qui atteste de la volonté des jeunes femmes, non seulement, de faire partie d’un secteur futuriste où les opportunités d’emploi fleurissent mais aussi de “contribuer à la transition énergétique”, une “des transitions économiques les plus importantes que le monde aurait connues”. Interrogée par La Presse au sujet des solutions financières possibles que les pays en crise économique à l’instar de certains pays de la région Mena peuvent adopter pour financer la transition énergétique, la DGA de l’Irena a expliqué que, selon les données de l’institution internationale, 75% des financements dans le secteur des énergies renouvelables proviennent du secteur privé. Raison pour laquelle les pays doivent adopter des politiques et des réglementations incitatives, qui rendent ce secteur attrayant pour les investissements privés.